14e Réunion régionale africaine

Un avenir du travail centré sur l'humain est nécessaire en Afrique

Le Directeur général de l'OIT, Guy Ryder, évoque les défis et les opportunités du monde du travail auxquels l’Afrique est confrontée lors de la 14e Réunion régionale africaine de l’OIT, à Abidjan, en Côte d’Ivoire.

Déclaration | Abidjan, Côte d’Ivoire | 3 décembre 2019
Son Excellence Monsieur Kouakou Pascal ABINAN, Ministre de l’Emploi et de la Protection sociale, Président de la 14e Réunion régionale africaine,

Messieurs les Vice-présidents de la réunion,
Madame et Messieurs, les membres du Bureau du Conseil d’administration,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les délégués,
Mesdames et Messieurs les observateurs,
Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi, tout d’abord, Monsieur le Président de vous féliciter pour votre élection ainsi que vos Vice-présidents et ensuite, de vous souhaiter à tous la bienvenue à cette 14e Réunion régionale africaine. Je tiens à vous remercier, Monsieur le Président, pour l'accueil chaleureux qui nous a été réservé ici à Abidjan et à remercier également les autorités de la Côte d'Ivoire, pays hôte de notre Bureau régional pour l'Afrique, pour la qualité des facilités mises à notre disposition pour cette réunion.

Par un heureux hasard de calendrier, cette réunion vient clore l’année du centenaire de l’OIT. Une année qui a vu notre Organisation gagner en notoriété, en visibilité et en influence, et qui, je pense, a renforcé encore plus l’engagement de ses mandants tripartites. Mais surtout, cette année nous a aidés à nous tourner résolument vers l’avenir: l’avenir du travail et, par conséquent, l’avenir de nos populations et de nos sociétés, et bien sûr l’avenir de l’OIT.

Cela fait également 60 ans cette année que l’OIT a établi sa première présence permanente sur le continent africain.

Il est donc particulièrement important que cette année s’achève sur ce temps fort, ici en Afrique. L’occasion nous est ainsi donnée de contribuer à bâtir l’avenir du travail sur ce continent.

L’Afrique a toutes les raisons de regarder cet avenir avec confiance. Jeune, riche en ressources, dynamique et créative, elle voit s’offrir à elle des possibilités qui, à bien des égards, n’existent pas dans d’autres régions. Toutefois, comme toujours, ces perspectives s’accompagnent de défis majeurs à relever.

Notre réunion se tient à un moment où l’économie mondiale marque le pas: selon les estimations pour l’année prochaine, la croissance sera de 3 pour cent seulement dans le monde, et d’environ 4 pour cent sur le continent. C’est dans ce contexte qu’il faudra relever le défi de l’emploi en Afrique: créer 26 millions d’emplois productifs tous les ans si l’on veut réaliser l’Agenda du développement durable à l’horizon 2030.

C’est également dans ce même contexte que le déficit de financement annuel de 68 milliards de dollars devra être comblé, afin de pouvoir financer les investissements nécessaires pour que la protection sociale universelle devienne réalité en Afrique.

Tous ces défis auront comme toile de fond les mutations profondes du monde du travail: des changements qui se produisent sous l’effet conjugué de l’évolution démographique, de l’innovation technologique, du changement climatique et de la trajectoire de plus en plus incertaine que suit la mondialisation.

Ces grands moteurs du changement sont à l’œuvre partout, mais se manifestent différemment selon les endroits. Dans le cas de l’Afrique, toute la question est de savoir s’ils peuvent être mis à profit pour promouvoir le travail décent et la justice sociale. Et la réponse n’est pas donnée d’avance, et c’est là l’essentiel: tout dépend de ce que nous, les gouvernements, les employeurs et les travailleurs, sommes prêts à faire, et capables de faire, pour bâtir ensemble l’avenir que nous voulons.

On estime que d’ici à 2035 la main-d’œuvre va croître de plus de 60 pour cent en Afrique. Il s’agit d’un formidable dividende démographique pour la croissance et le développement à condition de pouvoir créer tous les emplois voulus, sans quoi cette évolution se traduira au contraire par davantage de pressions économiques, sociales et migratoires. C’est pourquoi il a été particulièrement opportun que le Nigéria ait accueilli le Forum mondial sur l'emploi des jeunes à Abuja en août, et j’étais très heureux de pouvoir y participer.

Les nouvelles technologies, elles ouvrent des perspectives entièrement inédites pour le développement en Afrique, avec de véritables avancées à la clé si ces technologies peuvent être appliquées et déployées avec succès. Toutefois, le danger existe que la fracture et la marginalisation numériques s’aggravent si les investissements et l’innovation nécessaires font défaut.

L’Afrique dispose d’un potentiel unique en matière d’énergies renouvelables, ce qui lui donne un avantage extraordinaire dans la transition plus que jamais nécessaire à la neutralité climatique . En même temps nous sommes témoins de la vulnérabilité du continent aux changements climatiques, ce qui donne à craindre des déplacements à grande échelle des populations et la destruction de leurs moyens de subsistance.

L’expérience nous l’a montré: les avantages que la mondialisation procure à l’Afrique dépendent entièrement des conditions dans lesquelles cette région s’intègre dans les systèmes mondiaux du commerce, des investissements, de la finance, des migrations et de diffusion des technologies. D’où, Mesdames et Messieurs, le besoin impératif de renforcer les fondations mondiales d’un développement durable, équilibré et juste nécessaire pour la prospérité future de l’Afrique.

Monsieur le Président,

C’est dire combien sont importants les enjeux des discussions que nous aurons cette semaine ici à Abidjan. Il s’agit de comment appliquer en Afrique l’approche de l’Avenir du travail centré sur l’humain consacré par la Déclaration du centenaire adoptée en juin par la Conférence internationale du Travail.

Beaucoup d’entre vous ont pris part à la négociation de cette Déclaration; je me bornerai donc à rappeler les trois types d’investissements qu’elle préconise.

  • Premièrement, des investissements dans les capacités de toutes les personnes pour leur permettre de tirer parti des multiples transitions que nous réserve l’avenir, c’est-à-dire des investissements dans les compétences et les apprentissages tout au long de la vie, dans une protection sociale universelle qui aide les gens à s’adapter au changement, et dans un programme facteur de transformation profonde pour l’égalité entre hommes et femmes.
  • Deuxièmement, des investissements dans les institutions du travail, c’est-à-dire dans les lois, règles et les procédures en vertu desquels le travail n’est pas traité comme une simple marchandise, qui garantissent la sécurité au travail, le respect des droits, des conditions du travail justes et humaines, et qui permettent à ceux qui travaillent de sortir de la pauvreté.
  • Et troisièmement, dernièrement, des investissements dans les emplois de demain, l’accent étant mis en particulier sur l’économie verte, l’économie rurale, les infrastructures et l’économie du soin.
Et c’est dans le cadre de cette Approche de l’Avenir du travail centré sur l’humain, et en ayant bien conscience qu’il n’existe pas de solution uniforme, que nous devrons déterminer les pistes d’action prioritaires, en tenant compte des situations spécifiques des 54 Etats Membres africains de l’OIT.

Mesdames et Messieurs, certaines priorités sont particulièrement claires.

Dans un monde où 61 pour cent des travailleurs se trouvent dans l’économie informelle, les taux correspondants en Afrique sont nettement supérieurs, d’une vingtaine de points de pourcentage en moyenne. Dans ces conditions, le processus de formalisation est donc une tâche aussi gigantesque que nécessaire. Nous avons beaucoup appris sur ce qu’il faut faire pour passer de l’économie informelle à l’économie formelle, et nous savons que cela exige un ensemble de mesures qui sont réunies dans la Recommandation n° 204 de l’OIT.

Et parce que, vous avez rappelé Monsieur le Président, l’industrie manufacturière ne représente que 7 pour cent de l’emploi en Afrique, alors que 55% pratiquent toujours l’agriculture, la transformation structurelle de la production reste essentielle pour ouvrir des voies vers le développement durable. Les stratégies de développement centrées sur l’humain et sur l’emploi devront s’articuler autour de plusieurs axes: la diversification économique, un environnement propice à la création d’emplois décents surtout par les entreprises privées, ainsi que l’amélioration de la productivité et la répartition équitable des bénéfices qui en sont tirés. Sur ce dernier point, l’Afrique affiche encore des niveaux inférieures à ceux d’autres régions et ne semble pas en passe de réduire l’écart de manière décisive.

Il est clair que les actions ciblées pour renforcer les compétences sont essentielles pour apporter les changements nécessaires.

Et ces efforts doivent inclure des actions pour la pleine et égale participation des femmes africaines au travail. Elles assument déjà un rôle crucial mais nous devons agir pour leur permettre un accès égal au travail décent.

La nature des défis à relever appelle impérativement à une gouvernance efficace du travail en Afrique. Pour le dire d’une manière très simple, l’Afrique a besoin de se doter des réglementations appropriées et puis des capacités institutionnelles suffisantes pour faire appliquer ces réglementations avec cohérence, efficacité et transparence. Si chacune de ces deux dimensions est certes importante, je crois pouvoir dire que c’est sur la mise en œuvre que les efforts doivent porter en priorité.

Par exemple, en ce qui concerne les ratifications des conventions de l’OIT, L’Afrique est honorable. Il ne manque que neuf ratifications pour que tous nos Etats Membres africains aient accepté les obligations découlant de nos huit conventions fondamentales. Ceci dit, leur pleine application demeure parfois problématique, ce qui semble indiquer que le renforcement des capacités est une tâche et une responsabilité essentielles de l’OIT en Afrique. Les ministères du Travail doivent disposer des ressources, du savoir-faire, des systèmes d’information et des capacités d’application dont ils ont besoin pour s’acquitter efficacement de leur mission.

Dans le même ordre d’idées, les organisations d’employeurs et de travailleurs, qui doivent souvent répondre à des demandes croissantes avec les moyens limités parfois dont elles disposent, ont besoin d’être soutenues afin d’être, avant tout, de solides représentants et défenseurs des intérêts qu’elles représentent. Elles ont également besoin d’être soutenues afin de pouvoir participer, en tant que partenaires informés et crédibles, aux processus de dialogue social qui sont absolument déterminants pour parvenir à un consensus et pour résoudre les problèmes qui se posent au travail.

Mr Président,
Delegates,

Because we can learn a great deal from our past experience when building for the future, an important part of the business of this meeting, and of my report to it, concerns what has already been done since the 13th African Regional Meeting in Addis Ababa in 2015.

And if we think back, a lot has happened. Let’s remember that when we met in Addis it was just weeks after the adoption of the UN 2030 Sustainable Development Agenda. We met at exactly the same time as the historic Paris Climate Change Conference. So the implementation of our Addis Declaration has coincided with the first years of implementation of the 2030 Agenda. And we now meet in Abidjan exactly as the UN is preparing a decade of accelerated delivery of the SDGs and the world is meeting in Madrid in a last chance Conference on Climate Change, where, as the UN Secretary-General has said, the choice is between “hope and capitulation”. Given this context, I think we should not avert our eyes from the reality that in most aspects, the international community is well off-track in delivering the 2030 Agenda and that the planet is fighting back hard in the war that we humans have abusively launched against it. And because decent work is so deeply involved in all of these challenges, we are, very clearly, called upon to do better.

In this respect, the ILO’s activities in Africa most certainly need to be directed at the achievement of the objectives that the international community has set. And that should include as well by the way, those of the Global Compact on Safe and Orderly Migration, which we know has not met with universal approval around the world, despite the obvious significance of the issues it addresses.

And this reticence illustrates two points: one general, and one specific.

The general point is that we are facing, for diverse reasons, a loss of confidence in, and commitment to, the practice of international multilateral cooperation. This is to be deplored. And it must be resisted as well, and here I believe that the ILO, and its African constituents surely share a strong interest in setting an example.

That’s a general point. The specific point and this is in the case of migration, is that the engagement that we are appears to be motivated more by a defensive reaction in some quarters to what is perceived as a threat and a problem, rather than a genuine readiness to grasp opportunities and to assume responsibilities in a spirit of real cooperation, solidarity, and humanity. In the international debate on migration, it is seldom remarked for example, that the majority of Africa’ s international migrants live and work in African countries and it is therefore within this region that the major governance challenges lie.

Mr President
This is why between the ILO and its African regional and sub- regional partners our cooperation to complement global action is absolutely vital.

For many years now, the Agenda 2063, the Ouagadougou 2004 Declaration and Plan of Action on Employment, Poverty Eradication and Inclusive Development and the Ouagadougou +10 outcomes have provided the key institutional framework for our activities with the African Union, and I very much hope that our preparatory work for a new AU-ILO Memorandum of Understanding will bear fruit so that we can deepen our relationship with the AU, as well as those with the ECA; NEPAD, and the African Development Bank in the years ahead.

And let me say that I am particularly pleased that our common commitment to cooperation for the eradication of Child Labour, forced labour, and human trafficking is one priority in these efforts.

Mr President, the coming into force of the African Continental Free Trade Area Agreement in May of this year, I think you would agree, opens up extraordinary new perspectives on the all-important process of regional integration, and in so doing, also raises corresponding challenges in respect of labour mobility and labour governance. The experience of trade and investment liberalization and freedom of movement around the world in recent decades certainly points to the need to be attentive to their labour and social dimensions if the fullest benefits are to be had for all people, with nobody left behind.

And these too are areas where strengthened cooperation could bring important benefits.

And underpinning the ILO’s cooperation with Africa’s regional and sub regional bodies is, of course, our everyday work at the national level. Today 19 Decent Work Country Programmes are in place in Africa, with a further 22 more under preparation. We have been able to increase by 112 percent extra-budgetary development cooperation resources over the last five years, and also to increase our regular budget resources for Africa within an overall zero growth scenario.

I hope you will see that these efforts as significant. But we know that their real impact and value depends on these funds being deployed to the best effect. That consideration will be very much to the fore as the reform of the UN Development System comes increasingly into operation in the months ahead. Our Governing Body has wanted us to take the fullest advantages of this reform with the ILO as an active partner firstly, in the design and now in its implementation. And particular emphasis has been placed on protecting and promoting the distinctive identity and mandate of the ILO – most importantly its tripartite and its normative character, and with this we will continue.

Mr President, optimal results for Africa also depend upon the ILO’s tripartite African constituents being in a position to play their full, democratic role within the Organization. And that consideration was very much to the fore at this year’s Centenary International Labour Conference. The Conference called for action “to definitively democratize the functioning and composition of the governing bodies of the ILO”, and this has already been acted upon with the establishment of a tripartite working group to consider and report on this matter one year from now. And knowing the very great importance to delegates at this meeting of this matter, I am pleased to bring you the good news inform that I received last week a further ratification by the Government of Portugal of the 1986 Amendment to the ILO Constitution whose entry into force has long been a priority for our African constituents.

President let me close by recalling that when we met in Addis Ababa four years ago, we were able to celebrate the award of the Nobel Peace Prize to the social partners of Tunisia; four years before that, the previous regional meeting in Johannesburg celebrated in the same way the Nobel Prize that went to President Johnson Sirleaf of Liberia. This year it is the Prime Minister of Ethiopia, Mr Abiy Ahmed who has been the recipient of this extraordinary recognition, and we congratulate him and all our Ethiopian friends for this.

And in this record of achievement, is a message about the vocation of Africans and of Africa for peace, which is equally the century old vocation of the ILO – because our Constitution tells us that lasting peace depends on social justice. Nowhere is this enduring truth more strongly felt than in those of our member countries suffering still from conflict, instability, and fragility. And I want to conclude by saying that we have We have particular responsibilities towards them, and I sincerely trust that they will be fully discharged in our discussions in the days ahead.

Because what we seek is a future of work with social justice as the surest guarantee that we can have of peace and prosperity in Africa and in the world. And in the end ladies and gentlemen, this is the unfinished business of our 100 year old Organization which we must take forward together.

And so I wish this 14th ILO African Regional Meeting all success.

Thank you.